Le Vielleur à la sacoche

© Palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain, Nancy / photo M. Bourguet

Domaine : Beaux-Arts

Titre : Le Vielleur à la sacoche

Auteur / Exécutant : D’après Georges de La Tour

Date : XVIIe siècle

Matière et technique : Huile sur toile

Dimensions : Longueur :    Largeur : 102 cm   Hauteur : 161 cm   Diamètre :   

Musée : Musée lorrain – Palais des ducs de Lorraine – Nancy (54)

Numéro d'inventaire : Achat auprès des Jésuites de Troyes, 1961 - nv. 61.1.2

Descriptif

Cinq Vielleurs de la main de Georges de La Tour – auxquels s’ajoutent des copies – sont actuellement recensés et conservés dans des collections publiques, trois en France (Bergues, Nantes, Remiremont), l’un à Madrid, le dernier à Bruxelles. La Tour ne fut pas le premier à représenter des joueurs de vielle au sein de l’École lorraine. Avant lui, le peintre Jacques de Bellange en offre ainsi une représentation plutôt caricaturale dans une eau-forte figurant une Rixe entre un mendiant et un pèlerin. Dans sa série des Gueux, le graveur Jacques Callot choisit également de représenter un Vielleux avec une grande puissance d’expression.

Le sujet témoigne particulièrement bien du goût de La Tour pour les sujets populaires dépeints avec un réalisme hérité de la peinture flamande et caravagesque. Si dans la Rixe de musiciens du J. Paul Getty Museum de Los Angeles, le thème donne lieu à une scène plutôt comique, la fausse cécité du vielleur étant mise au jour par un musicien concurrent grâce à un jet de citron dans l’œil, les autres compositions de l’artiste sur le même sujet sont néanmoins empreints d’une certaine forme de compassion. À l’époque de La Tour, il devait être assez fréquent de rencontrer ces musiciens ambulants utilisant l’instrument comme un outil de mendicité, ainsi que le signale Pierre Trichet dans son Traité des instruments de musique vers 1640. Selon lui, la vielle est « maniée par des idiots et des pauvres mendiants, la plupart desquels sont aveugles, il ne faut pas s’estonner si elle sert seulement pour esmouvoir la pitié ».

La version de Nancy est une copie ancienne d’après un original qui est peut-être la toile conservée au musée Charles Friry de Remiremont. Trouvée d’après Pariset dans un grenier de Nancy, celle-ci fut acquise en 1846 pour 200 francs par le collectionneur romarimontain Friry qui l’attribua à l’École espagnole (Murillo), comme le fut Le Vielleur de Nantes. Dans les années 1900, l’œuvre arborait un cadre du XVIIIe siècle, décoré d’un protomé de lion au milieu de chaque montant, malheureusement disparu depuis plusieurs décennies. Si le caractère autographe de la toile a été reconnu par Pierre Rosenberg et Jacques Thuillier, le débat a été ouvert récemment, Jean-Pierre Cuzin y voyant possiblement la participation de l’atelier du maître vicois, dans lequel exerçait son fils Étienne de La Tour, également « Peintre du Roi ».

La composition représente le vielleur assis sur un bloc de pierre en train de chanter tout en tournant la roue et en appuyant sur les touches de son instrument. La position du pied, au talon posé sur une pierre, semble peut-être indiquer qu’il bat la mesure. Le peintre traite ici le personnage avec un réalisme appuyé : contrairement au tableau du Getty Museum, le musicien solitaire semble réellement aveugle, ainsi que le suggère le froncement des yeux qui souligne particulièrement le handicap du vieil homme. L’artiste met également en avant les rides de la peau, l’épiderme usé par le temps et les mèches en désordre de la chevelure. L’éclairage qui plonge le décor extérieur très abstrait dans la pénombre permet de mettre en lumière ce personnage saisi sur le vif avec un regard presque photographique.

La toile de Remiremont n’a sans doute pas été achevée car il manque les ouïes, ouvertures nécessaires au bon fonctionnement de la vielle, ce que le copiste du tableau de Nancy n’a pas non plus rendu, alors qu’on les retrouve dans les Vielleur de Nantes et de Madrid.  Cela dénote avant tout pour l’artiste une volonté de simplification des réalités matérielles, mais qui prive l’instrument d’un élément indispensable pour se faire entendre. L’explication réside sans doute dans un rapprochement avec Le Vielleur à la mouche conservé au musée des Beaux-Arts de Nantes. Malgré quelques différences, comme l’orientation de la tête ou le remplacement de la sacoche par un chapeau à plume, et une qualité indéniablement supérieure marquée notamment par une grande attention portée aux détails (décor très soigné de la vielle, mouche, ruban qui retient le capot, plume du chapeau), la toile de Nantes partage en effet la même composition que les deux œuvres lorraines. L’élimination des détails accessoires à Remiremont pourrait ainsi révéler l’aspiration de La Tour à la simplification caractéristique de ses dernières années de création. Cette hypothèse est étayée par la radiographie de la toile réalisée au Centre de recherche et de restauration des musées de France, à l’occasion de l’exposition de 1972, l’imagerie ayant conclu à une préparation de la toile caractéristique de la fin de la vie du peintre, après 1640 probablement.

La facture de l’œuvre permet d’y voir un travail exécuté avec rapidité. Cette scène diurne témoigne d’un type de préparation de la toile très proche du Saint Jérôme lisant, production de l’atelier du maître conservée au Musée lorrain, et du Saint Jean-Baptiste dans le désert du musée de Vic-sur-Seille. On observe plusieurs couches brunes avec une faible proportion de blanc de plomb qui augmente en se rapprochant de la surface de la toile. La force et la sobriété de la toile, la simplification du décor fait penser à la reprise du Saint Jérôme pénitent de Stockholm, et au Saint Jean-Baptiste du musée Georges de La Tour.

Signalons qu’en 1764, l’Inventaire général des meubles du Château royal de Commercy mentionne, parmi les différents tableaux présentés dans la chambre à coucher du roi Stanislas, « un autre représentant un joueur de viele, prisé 16 l. ». Peut-on supposer qu’il s’agissait d’une œuvre de La Tour et y voir le vielleur de Remiremont attesté à Nancy en 1830 dans la collection Beaupré ?

Le collectionneur et artiste Charles Friry a gravé le tableau à l’eau-forte, vers 1850-1862, pour son projet éditorial Galerie lorraine rassemblant une sélection des œuvres d’art de sa collection sous la forme d’un recueil d’estampes. La matrice qu’il a gravée sur cuivre ou sur laiton est malheureusement perdue. En 2022, le musée a reçu en don deux dessins au crayon de Friry. L’un est préparatoire à la gravure, l’autre mis au carreau est centré sur le seul visage.

Pierre-Hippolyte Pénet et Aurélien Vacheret

Bibliographie

- WINTERNITZ (Emmanuel), Instruments de musique du monde occidental, Paris, Arthaud, 1972, p. 116-117.
- ROSENBERG (Pierre) et THUILLIER (Jacques), Georges de La Tour [cat. exp., Paris, Orangerie des Tuileries, 10 mai - 25 septembre 1972], Paris, Réunion des musées nationaux, 1972, p. 242.
- ROSENBERG (Pierre) et MACÉ DE L’EPINAY (François), Georges de La Tour, vie et œuvre, Fribourg, Office du livre, 1973, p. 106-107.
- THUILLIER (Jacques), Tout l’œuvre peint de Georges de La Tour, Paris, Flammarion, 1985, p. 89-90, n° 24.
- ROSENBERG (Pierre), « Un nouveau La Tour », Scritti in onore di Giuliano Briganti, Milan, Longanesi, 1990, p. 169-178.
- ROSENBERG (Pierre) et MOJANA (Marina), Georges de La Tour, catalogue complet des peintures, Paris, Bordas, 1992, p. 40-41.
- Los musicos e Georges de La Tour, Alegoría y realidad en la pintura barroca francesca [cat. exp., 8 juin - 7 août 1994, Madrid, Museo del Prado], Madrid, Museo del Prado, 1994, p. 78-79.
- THUILLIER (Jacques), Georges de La Tour, Paris, Flammarion, 1997, n° 18.
- CUZIN (Jean-Pierre), Notice in CUZIN (Jean-Pierre) et ROSENBERG (Pierre) (dir.), Georges de La Tour [cat. exp., Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 3 octobre 1997 - 26 janvier 1998], Paris, Réunion des musées nationaux, 1997, p. 140-141.
- Georges de La Tour [cat. exp., 8 mars - 29 mai 2005, Tokyo, Musée national d’art occidental], Tokyo, Musée national d’art occidental, Yomiuri Shimbun, 2005, p. 60-61, p. 223, p. 282.
- PÉNET (Pierre-Hippolyte) Notice in PÉNET (Pierre-Hippolyte), Georges de La Tour et le mystère de La Femme à la puce [cat. exp., Nancy, musée des Beaux-Arts, 31 mars - 2 septembre 2018], en ligne : https://www.musee-lorrain.nancy.fr/fr/hors-les-murs/expositions/georges-de-la-tour/catalogue-numerique/
- CUZIN (Jean-Pierre), La Tour, Paris, Citadelles & Mazenod, 2021, p. 248 et 361.

Musée lorrain – Palais des ducs de Lorraine – Nancy (54)

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